Préface

Au Peuple Congolais

Le Pape François a ouvert en cette année 2016 la porte sainte de la miséricorde. Nous sommes donc symboliquement invités à cheminer ensemble dans la voie constructive du pardon. Le pardon qui rapproche, apaise, guérit et renforce les liens entre les hommes. Concrètement, pour nous Congolais, ce thème de la miséricorde nous renvoie donc à celui de la réconciliation nationale. Cette année 2016 est celle qui doit conduire l'ensemble des filles et des fils de la République Démocratique du Congo à dépasser les divisions et les antagonismes qui ont mené à la crise et à s'engager ensemble dans la voie de son règlement apaisé afin de relancer et d'achever définitivement le processus de démocratisation de la RDC. Mais la miséricorde ne va pas sans rigueur et sans responsabilité. Pour réussir la réconciliation nationale, il faut, au-delà des élans du coeur ou des simples postures, que les responsables politiques s'engagent clairement en ce sens envers la nation et qu'ils agissent à son égard de manière responsable, à la seule lumière de l'intérêt supérieur de la nation congolaise. Il est temps, avant que la porte de la miséricorde ne se referme définitivement.

Ecoutons le message qui émane des tombes au Congo depuis 1960 : la violence est une chose horrible ! Gardons nous de l'oublier. Veillons à ce que les générations futures ne soient pas confrontées à nouveau aux larmes, au deuil et aux ruines. Renonçons à ce qui sépare. Recherchons tout ce qui nous unit. Nous devons nous admettre pour nous unir, pour revenir ensemble à notre propre source.

Aujourd'hui notre pays traverse, sur le plan politique, une des situations de crise les plus inquiétantes de son histoire depuis son accession à la souveraineté, pour son avenir. Nous devons nous regarder en face et reconnaître que 55 ans après, notre gestion de l'indépendance nationale acquise dans la douleur est un échec. Ainsi ont été vains tous les sacrifices et toutes les privations pour arracher notre souveraineté. C'est en vain que les fils et les filles du Congo avaient souffert, vaines les heures interminables pendant lesquelles, étreints par l'angoisse de la mort, ils accomplissaient néanmoins leur devoir. 

Nous sommes nous-mêmes nombreux à avoir éprouvé les blessures de notre pays, à avoir connu le chagrin, la douleur des séparations, la présence de la mort, à cause tout simplement de l'inimitié des hommes du Congo entre eux. Il faut transmettre, non pas cette haine, mais, au contraire, la chance des réconciliations que nous devons, il faut le dire, à ceux qui, dès le 4 janvier 1959, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle le plus souvent, ont eu l'audace de concevoir ce que pourrait être un avenir radieux, fondé sur la réconciliation nationale et sur la paix. Nous devons honorer nos morts, nous devons nous réconcilier avec nos morts. Au Congo nous avons le respect des morts, et plus encore lorsque cette mort s'identifie aux sacrifices pour la patrie. Nous devons nous réconcilier avec notre histoire et sans esprit de revanche.

Nous devons reconnaître et assumer toute l'histoire, même la plus douloureuse de notre patrie.

Ainsi cette réconciliation nationale suppose que l'on reconnaisse et assume toute l'histoire du Congo Zaïre, indépendamment des appréciations que l'on peut porter sur telle ou telle période.

Nous devons maintenant mettre fin à l'inconduite politique, à l'irresponsabilité, et aux mentalités inciviques qui ont été modelées par des rapports sociaux d'une vie politique cinquantenaire au risque que notre pays soit exposé à une disparition pure et simple, parce que nous n'aurons pas été capables de mettre en place un Etat capable d'assurer la cohésion sociale, le relèvement du niveau de vie, l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi, le développement, la défense et la sécurité de notre pays.

Il ne faut pas cesser de le répéter, nous revenons de si loin dépuis l'eclatement de la crise des Grands lacs en Octobre 1996. Depuis bientôt deux décennies, nous reconstruisons notre pays sur tant de ruines, de désastres et de morts ! Il faut l'expliquer et mettre en garde du danger que représente pour notre pays un nouveau chaos. Nous devons nous remettre fondamentalement en cause en nous engageant maintenant, sur le plan politique, dans des voies nouvelles. Nous devons avoir une ambition mobilisatrice qui exige de nous de créer un nouvel élan patriotique, vigoureux, qui ne s'use pas dans les vaines querelles politiciennes, inspiré par d'autres ambitions que des investitures politiques, d'accepter les sacrifices. 

Nous devons être conscients du prix de toutes ces heures qui seront enlevées à la vie de famille, au légitime désir de repos, aux loisirs, au nécessaire retour sur soi. Naguère les fils et les filles du Congo ont accepté d'en faire le sacrifice pour une cause qui dépasse chacun d'entre eux. Nous devons à notre tour avoir la force de le refaire, et l'esprit des fils et filles du Congo qui sont morts pour la patrie nous accompagnera dans cette action jusqu'à la reconstruction complète de notre pays.

Nous devons songer, pour reprendre courage, aux fils et filles du Congo qui, dès le 4 janvier 1959, ont commencé seuls le combat de la liberté qu'ils n'avaient que peu de chance de voir aboutir. Ils ont cheminé dans un tunnel en ne pouvant qu'imaginer la couleur qu'aurait le ciel du Congo à l'autre bout. Nous devons avoir leur force, leur ténacité, leur foi pour redonner à la jeunesse confiance en son avenir, pour restaurer la confiance et retrouver l'espérance, pour traduire en actes ce plan qui a pour ambition : de mettre fin de manière responsable à la crise politique, de relancer et d'achever le processus démocratique  et électoral en RDC.

Et c'est dans cet esprit auquel le Saint-Père nous convie que nous devons aborder ensemble la résolution de cette c rise politique, en osant nous jeter les uns les autres un regard sincère et fraternel qui dépasse nos antagonismes et nous permette de cheminer ensemble. Depuis un certain temps, la RDC, notre pays, est un enjeu politique au lieu d'être un acteur politique. Et cette situation situation hypothèque lourdement notre avenir national. Et c'est précisément une prise de conscience qui peut changer le cours de cette situation et permettre à notre pays de retrouver son statut d'acteur politique accompli sur la scène internationale.

Retenons ceci: "On ne voit bien qu'avec le
coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux"

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