L’objectif de mon plan est simple : mettre fin au cercle vicieux des concertations politiques afin de sortir de l’impasse politique dans laquelle elles ont conduit le pays, permettre au Président de la République une sortie honorable dans un climat apaisé, maintenir la cohésion nationale et assurer la sécurité et la stabilité de notre pays. Je ne pense pas que sur une question politique aussi importante que celle de l’avenir de notre pays, il y ait des vainqueurs ou des vaincus. Sur ce point, je suis finalement et sans aucun doute plus admiratif de la réconciliation que de la victoire si celle-ci signifie que des morts jonchent le terrain. Avec un souci de faire avancer les choses, sur la base de quelques notables compromis non nuisibles à la nation congolaise, je souhaite qu’à la fin tout le monde se retrouve dans un pays en paix. J’en appelle à la responsabilité des uns et des autres. Notre pays est toujours fragile, les menaces qui pèsent sur son existence demeurent. Ne donnons pas des prétextes aux promoteurs de la dislocation de notre pays. Nous devons être nous-mêmes conscients que notre meilleure arme, c’est notre unité, l’unité de tous nos concitoyens face à toute épreuve. Et par delà nos divergences, rien ne doit nous diviser, rien ne doit nous séparer. Les questions de révision ou de non révision constitutionnelle, du rôle à l’avenir de l’actuel Président dans la vie politique du pays ne doivent pas nous diviser. Seul compte l’intérêt supérieur de la Nation congolaise. Pour cela, nous devons faire preuve de réalisme, de largeur d’esprit, dans une démarche inclusive bien pesée et sensée, et de la prudence nécessaire.

Je cherche à présenter une alternative crédible au « désordre établi » que conserve aujourd’hui notre Constitution pour sortir de l’impasse. Pour ce faire, je commencerai d’abord par donner mon point de vue sur la question épineuse de la révision de l’article 220 qui est à l’origine de la crise politique.

La question de la révision constitutionnelle de l’article 220 :

Mon point de vue

Révision constitutionnelle pour quoi faire, pour quels objectifs et dans quelle perspective ? Et pourquoi pas une révision constitutionnelle ? Toutes ces questions se posent. Il est facile d’en rester au point où nous en sommes, facile de penser que l’on pourrait résoudre tous les problèmes par la confrontation violente. Et c’est précisément une prise de conscience qui peut changer l’évolution de la situation.

En ma qualité de juriste, j’ai un devoir moral et je ne peux me permettre la complaisance dans mes prises de position sur les questions de Droit parce que je sais que je serai jugé avec le temps, quand demain sera devenu aujourd’hui. Quand on ne sait rien on est victime de toutes les bêtises. C’est pourquoi sans vouloir arbitrer, je veux quand même donner mon point de vue et soumettre à la nation toute entière ma démarche pour sortir de l’impasse.

Sur cette question de révision constitutionnelle de l’article 220, je dirai aux Congolais tout ce qui est vrai en droit du contentieux constitutionnel au risque de leur déplaire, au risque de les choquer, au risque même d’apparaître en désaccord avec l’opinion majoritaire dans ce climat délétère de la crise politique. Je n’ai qu’une passion, la lumière. Et je m’adresse plus particulièrement aux apprenants en droit, ceux de la colline inspirée, là où souffle l’esprit de l’intelligence éclairée, ceux de Kassapa, et tous ceux des cénacles universitaires où l’on goûte aux plaisirs de la spéculation juridique ou d’ailleurs à travers la République Démocratique du Congo. Pour la bonne compréhension de mon point de vue sur cette question, je dois commencer par faire une mise au point sur le pouvoir du constituant congolais et ses limites sur l’opportunité d’une éventuelle révision constitutionnelle de l’article 220 pour enfin dire en droit les voies et moyens que le droit du contentieux constitutionnel met à la disposition de la réflexion en l’espèce.

1. Mise au point sur le pouvoir du constituant congolais et ses limites dans l’opportunité d’une révision constitutionnelle de la stipulation selon laquelle : « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ».

Pour fixer les esprits, il n’est pas inutile de rappeler ici que l’on appelle révision, la modification d’une constitution, c’est-à-dire l’abrogation de certaines de ses règles et leur remplacement par d’autres règles.

Quand il doit s’exercer en matière de révision, le pouvoir constituant s’exerce dans des conditions différentes de celles où il agit en matière d’établissement de la constitution. En effet, s’agissant d’établir une constitution au moment de la création d’un Etat ou après une révolution ou un changement de régime qui a abrogé la constitution préexistante, le pouvoir constituant est inconditionné ; par définition, il n’est soumis à aucune règle préalable ; il est vraiment un pouvoir originaire. C’est que, manifestant la souveraineté de l’Etat dans sa plénitude, puisqu’il n’est pas autre chose que l’Etat édictant ses propres règles de structure et de fonctionnement, il est un pouvoir originaire.

Au moment de l’établissement d’une Constitution, le pouvoir constituant n’est pas, du point de vue juridique, limité dans ses conditions d’action, puisque, par définition, il n’y a pas de constitution applicable. Tout au plus il se doit de respecter le principe démocratique à valeur supra-constitutionnelle qui exigerait par exemple que le peuple consente d’une manière ou d’une autre à la constitution qui est édictée. Au contraire, quand le pouvoir est exercé en matière de révision, la constitution fixe elle-même les conditions, au moins les conditions de forme, dans lesquelles ce pouvoir constituant est exercé ; par exemple, la révision sera confiée à telle Assemblée ou devra être approuvée par référendum. Dans ce cas, le pouvoir constituant de révision n’est plus inconditionné. C’est un pouvoir dérivé. Dans ces conditions et en l’espèce, on peut se demander si le pouvoir constituant congolais lui-même ne devrait pas observer scrupuleusement le principe démocratique à valeur supra- constitutionnelle qui exigerait comme nous le verrons, que le peuple congolais consente préalablement à la révision pourtant interdite par la Constitution du 18 février 2006, de certaines de ses dispositions réputées sacrées et intouchables, aux fins de « préserver les principes démocratiques contenus dans la Constitution (...) contre les aléas de la vie politique et les révisions intempestives » . Il s’agit en l’occurrence de l’article 220 de la Constitution qui stipule entre autres choses : « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peuvent) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». Généralement, on qualifie ce genre d’articles de clauses supra-constitutionnelles en ce sens que le Constituant dérivé ne peut librement les modifier. Autrement dit, ce dernier ne dispose d’aucune marge d’appréciation dans la révision de telles clauses. Mais quelle est la valeur juridique d’une telle interdiction ? Le pouvoir constituant étant le pouvoir suprême de l’Etat peut-il être lié, même par lui même ?

2. Du point de vue juridique, une déclaration d’immutabilité constitutionnelle absolue n’est pas concevable

Une constitution peut-elle interdire de façon formelle sa révision ? A vrai dire aucune constitution n’interdit à tout jamais et sur tous les points sa révision. Mais elle peut interdire, par exemple, la révision pendant un certain délai ou interdire la révision sur tel ou tel point. Mais une telle interdiction a une valeur politique et non juridique. En effet, comme l’enseigne avec force le Doyen Georges Vedel, « du point de vue juridique, une déclaration d’immutabilité constitutionnelle absolue n’est pas concevable»2.[2] Le pouvoir constituant étant le pouvoir suprême de l’Etat, il ne peut être lié, même par lui même. Pratiquement, ceci éclaire à plus d’un titre l’idée que le constituant d’aujourd’hui ne peut lier la nation de demain. En vérité, une prescription constitutionnelle n’agit pas comme l’énoncé d’un devoir de conscience assigné à des gouvernants ou à des citoyens pétris de vertu. Elle est en réalité une contrainte parmi d’autres avec lesquelles elle se combine. Il s’agit en fin de compte de faire que l’ambition et les passions légitimes qui nourrissent le goût du pouvoir soient contenues, et tournent au service de la société et de ses valeurs. Ainsi le réseau des normes constitutionnelles, ses croisements avec des structures et des conjonctures échappent à l’imperium normatif, les actions et réactions entre règles et pratiques semblent conjurer toute tentative de lecture linéaire. Un article de constitution n’a de sens total que mis en rapport avec un dessein général et un ensemble normatif constitutionnel dont il est à la fois le composant et le captif.

La querelle qui oppose les partisans de la révision constitutionnelle et ses opposants concerne essentiellement la modification de la disposition selon laquelle : « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peuvent) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». Le mandat présidentiel est de 5 ans renouvelable une seule fois. Cette disposition de la Constitution fait partie des principes suprêmes qui ne peuvent être renversés ou modifiés dans leur contenu essentiel même pas par une loi de révision constitutionnelle ou par d’autres lois constitutionnelles. Il s’agit, en l’occurrence des principes qui appartiennent à l’essence des valeurs suprêmes sur lesquelles se fonde la Constitution. Ces principes sont généralement qualifiés de « principes supra-constitutionnels » et sont inférés des enjeux politiques et liés à un problème purement idéologique de l’Etat. Autrement dit, ces principes supra- constitutionnels, parmi lesquels figure la limitation de la durée du mandat du Président de la République, n’ont de valeur que politique. Comme le rappelle si bien Julien Laferrière, « au point de vue juridique, le procédé qui consiste à décréter l’immutabilité d’une partie de la constitution est sans valeur. Le pouvoir constituant qui s’exerce à un moment donné n’est pas supérieur au pouvoir constituant qui s’exercera dans l’avenir (...). Des dispositions de ce genre sont des simples vœux, des manifestations politiques, mais n’ont aucune valeur juridique, aucune force obligatoire pour les constituants futurs ».[3] Ceci revient à dire que le principe de la permanence ou la stabilité constitutionnelle ne signifie pas que la constitution doit être statique, parce que «stabilité n’est pas immutabilité »[4]. Par conséquent, « la stabilité constitutionnelle ne peut être conçue sous le signe de l’immobilisme : elle se fonde puis se corrige »[5]

Au fond, le principe de stabilité constitutionnelle découle, pour ainsi dire, de la notion même de constitution au sens formel, c’est-à- dire un « ensemble des normes placées au sommet de la hiérarchie de l’ordre juridique, qui fondent immédiatement la validité des lois, médiatement celle des autres normes et qui ne peuvent être modifiées qu’au moyen d’une procédure particulière ».[6] Cela revient à dire que « tout comme la règle de droit qui systématise ce qui est stable, elle (la Constitution) synthétise un ordre auquel sans doute elle n’interdit pas d’évoluer, mais n’est autorisée à se transformer que par le développement de son principe interne »7. On le voit bien, du point de vue juridique une déclaration d’immutabilité constitutionnelle absolue n’est pas concevable. Le pouvoir constituant étant le pouvoir suprême de l’Etat ne peut être lié, même par lui même. Ceci se manifeste très simplement d’une façon pratique. Par exemple, l’article 220 de notre Constitution stipule : « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peuvent) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». Mais juridiquement l’obstacle que ce texte met à une révision portant sur le nombre et la durée des mandats du Président de la République peut être levé de la façon suivante : il suffit de faire abroger par voie de révision l’article 220 précité ; après quoi l’obstacle étant ainsi levé, une seconde révision peut porter sur le nombre et la durée des mandats du Président de la République. Pratiquement, ceci correspond à cette idée que le constituant d’aujourd’hui ne peut lier la nation de demain. La Constitution n’interdit pas l’abrogation par révision de l’article 220 ou d’autres de ses articles, elle stipule seulement, en l’espèce, parmi d’autres dispositions qu’il contient : « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peuvent) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». 

Il s’en suit que, si juridiquement l’obstacle à une révision constitutionnelle n’a pas de fondement, la question de l’opportunité d’une telle révision se pose parce que le contexte politique sur la « démocratiabilité » africaine ne plaide pas en sa faveur. De ce fait, toute tentative de révision qui interviendrait sur ces points sans l’assentiment préalable du peuple congolais est prima facie nulle et non avenue. Autrement dit, si le Constituant dérivé décide de réviser la disposition constitutionnelle qui prévoit que « Le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peuvent) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle » ; disposition qu’on qualifie de clauses supra-constitutionnelles en ce sens que le Constituant dérivé ne peut librement les modifier parce que ne disposant d’aucune marge d’appréciation dans la révision de telles clauses, il se doit, dès lors, d’observer le principe du parallélisme de forme et de compétence qui impose la consultation préalable du peuple congolais, source primaire et exclusive du pouvoir, seul légitimement habilité à se prononcer sur l’opportunité de cette révision par la même voie procédurale que celle par laquelle il avait été saisi en 2005 pour l’adoption de cette même Constitution et recourir à deux référendums successifs parce que seul celui qui a fait a le pouvoir de défaire ou du moins, seul le peuple congolais souverain primaire a le pouvoir de lever préalablement cette interdiction :

- Dans un premier référendum il doit demander et obtenir du souverain primaire l’autorisation préalable de réviser cette disposition constitutionnelle réputée sacrée et intouchable qui prévoit que « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peut) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». Si ce dernier lui refuse l’autorisation par un vote négatif, il n’y a pas de révision constitutionnelle ;

- En cas de décision favorable un deuxième référendum est organisé. Le Constituant dérivé soumet le texte de modification constitutionnelle au vote populaire. S’il est adopté, on modifie la Constitution en abrogeant la disposition en cause. Si le non l’emporte, il n’y a pas de modification de la Constitution.

On voit bien que le procédé qui consiste à décréter l’immutabilité d’une partie de la constitution est sans valeur juridique. En effet, il n’existe pas de constitution bloquée. La constitution est le produit d’un compromis politique et social qui, d’une part, détermine « les principes et règles selon lesquels seront résolues les questions communes et générales » d’une société donnée ou d’un peuple déterminé et, d’autre part, établit une hiérarchie de valeurs sur lesquelles s’accordent à un moment de l’histoire les membres de ladite société. Ainsi, toute constitution est foncièrement de nature relative et contingente, en ce sens qu’elle renvoie à la maîtrise du temps et à la stabilisation de l’espace. Il s’agit là d’un contrat social, révisable selon la volonté des Parties contractantes, dans les limites par elles fixées. Je tiens également à rappeler le fait qu’une Constitution, quelle qu’elle soit, rigide ou souple, peut toujours faire l’objet d’une quelconque révision. J’affirme avec insistance qu’en droit du contentieux constitutionnel la controverse par certains lancée sur la pertinence ou non de la révision de la constitution d’un Etat est un faux débat, car fondé sur des faux postulats. D’ailleurs, cela manque d’originalité doctrinale.

Mais quand bien même l’obstacle à une révision constitutionnelle n’a-t-elle pas juridiquement de fondement, proposer aux Congolais la seule révision constitutionnelle de la disposition constitutionnelle qui prévoit que « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne (peuvent) faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle » s’apparenterait à un « hold-up » politique dans ce climat délétère de la « démocratiabilité » africaine, où certaines puissances occultes décrètent le non à la révision constitutionnelle comme l’alpha et l’oméga de leurs arrières pensées, ou du moins de leurs convictions.

Je crois fermement que si l’on veut emporter l’adhésion populaire, il faut aller au delà de la simple révision de cette disposition et l’insérer dans le cadre large de la refonte des institutions et du système politique. Je pense qu’il faut changer le système ou le réformer en profondeur. Je pense qu’il faut maintenant poser clairement la question du changement institutionnel, proposer la révision globale de la Constitution ou proposer une nouvelle Constitution pour un nouveau régime politique réellement démocratique dans son esprit, dans sa lettre et dans sa pratique.


[2] Droit constitutionnel, Sirey, Paris, 1949, p. 117. 

[3] Manuel de droit constitutionnel, Montchrestien, Paris, 1947, p. 289. 13

[4] F. Delpérée, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruylant, Bruxelles, L.G.D.J., Paris, 2000, p. 64

[5] Ibidem

[6] A.-J. Arnaud (s/dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J., 2ème éd., Paris, 1993, p. 103. 

[7] G. Burdeau, « Une survivance : la notion de Constitution », in L’évolution du droit public. Etudes en l’honneur d’Achille Mestre, Sirey, Paris, 1956, p. 57.