Préface
Au peuple congolais et à tous nos anciens

Le 4 janvier 1959, nos parents, en grands pionniers, ont ouvert le chantier qui devait mener notre pays à son indépendance le 30 juin 1960. En ce moment critique où notre pays est dans l’impasse, notre pensée à nous tous doit se tourner vers les pionniers de l’émancipation politique congolaise et vers ceux, qui après eux, ont fait que la République Démocratique du Congo est restée une et unie jusqu’à ce jour. Ils méritent à la fois notre admiration et notre reconnaissance car ce sont eux qui, consacrant tous leurs efforts et même leur vie à un grand idéal, nous ont légué ce grand pays au cœur de l’Afrique. Depuis que nous avons pris la relève, notre effort n’est pas toujours à la mesure de la tâche. Qu’est ce qu’ils auraient fait aujourd’hui à notre place ? J’invite les Congolais à revisiter l’histoire politique de notre pays, ils constateront que celle-ci n’est qu’un éternel recommencement, un éternel retour. Lorsqu’on fait un tour d’horizon de la situation politique actuelle, on constate étonnement un mimétisme inquiétant avec la période qui a suivi notre accession à l’indépendance et celle qui a précédé la fin de la deuxième République. La présence de la MONUSCO ressemble étrangement à celle de l’ONUC en 1964. L’action de la MONUSCO comme celle naguère de l’ONUC à laquelle je rends un hommage appuyé, combinée avec la détermination des Congolais ont empêché que le Congo éclate. Oui la RDC n’a pas éclatée. Aujourd’hui comme hier, certains hommes politiques se cantonnent dans une lutte stérile pour accéder au pouvoir sans tenir compte des menaces qui pèsent sur l’existence de notre pays en cas de conflagration à Kinshasa, et sans aucune considération pour sa stabilité et pour le bien-être de son peuple.

 Exaspération ! C’est bien le sentiment de toute cette population congolaise qui, libérée du joug colonial dégradant et des turpitudes de la première et de la deuxième République, avaient espéré que le lendemain du 30 juin 1960 serait un jour meilleur. Prenons garde ! La course au pouvoir risque à nouveau de faire couler le sang congolais. Nous devons tous ensemble cristalliser l’aspiration de toute la Nation congolaise à voir se terminer cette crise politique qui a atteint son paroxysme afin que pointe à l’horizon une lueur d’espoir.

La situation de notre pays est grave, je vous invite à bien voir, bien comprendre avant d’agir, et de bien agir ! Car, comme l’homme qui se dépêche en courant et saute une barrière, peut tomber dans un trou de l’autre côté qu’il n’a pas vu, tel est le peuple qui se lance dans la précipitation inconsidérée dans une action avant d’en avoir considéré les conséquences pour son pays. Avançons prudemment avec confiance vers le chemin de l’espérance que la providence a tracé pour notre pays. Ecoutons la voix de la réflexion. N’agissons pas avant d’avoir pesé nos mots et examiné où nous mènera chaque pas que nous allons faire pour notre pays. Et comme les jours passés ont fui pour toujours, et comme ceux qui sont à venir pour notre pays ne viendront pas à nous dans notre situation actuelle, il nous appartient, à nous Congolais, d’employer notre situation présente en la corrigeant dans un esprit d’équilibre et d’inclusivité, sans regretter la perte de ce qui est passé, ou de dépendre trop de ce qui est à venir ; quant à notre prochaine situation, nous ne pourrons la connaître, sauf de la manière dont nos actions l’ordonneront à l’issue d’un dialogue national, ce Synode que j’appelle de tous mes vœux. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un dialogue pour sortir notre pays de la crise, de l’impasse politique, pour relancer et achever notre processus de démocratisation qui est aujourd’hui bloqué. C’est la raison pour laquelle j’en appelle à la responsabilité de nos ainés, nos anciens. Ils doivent sortir de leur torpeur, pour qu’ils nous guident, qu’ils nous montrent la voie qui nous permet de sortir de l’impasse en nous facilitant le dialogue. C’est pourquoi j’appelle à la mise en place de la Geronsia, un conseil national des anciens pour la facilitation et la coordination de l’ultime dialogue national sur la relance et l’achèvement du processus démocratique et électoral dans notre pays, que j’appelle Synode. Ce dont je suis certain en écrivant ces lignes, c’est qu’il faudra que ce dialogue ait lieu. L’enjeu est donc historique, tant l’exaspération, le désespoir et la colère peuvent pousser une majorité de Congolais vers le pire.

Ce message je vous l’adresse au nom de la conscience du peuple congolais hier zaïrois, asservi et torturé dans son âme et dans sa chair.

Dans une République Démocratique du Congo assaillie par la plus atroce violence dans la guerre des Grands lacs, notre force à nous Congolais a été de ne rien refuser du drame qui est le nôtre, mais en même temps d’avoir sauvé l’idée de nation au milieu de ce désastre et d’en tirer l’infatigable courage des renaissances. Certes, l’accusation que nous portons contre le reste du monde libre qui laisse faire cette tragédie d’après l’opinion congolaise, n’en est pas allégée. Nous avons payé et continuons de payer cher cette tragédie pour que notre condition ait cessé de nous paraître désespérante. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants assassinés quasiment chaque jour à l’Est de notre pays, une région du Kivu, d’Ituri et du Maniema dont la terre est fumante de millions de cadavres qui ont été ses enfants ; il a fallu tout cela pour rien ? Cela est désespérant. Mais nous avons à faire la preuve que nous ne méritons pas tant cette dramatique injustice. Il faudrait régler définitivement cette crise des Grands lacs, pacifier l’Est de notre pays si nous voulons achever avec succès le processus démocratique et électoral dans notre pays. C’est la tâche que nous allons nous fixer, elle commencera un jour et très bientôt je l’espère dans un dialogue national, inclusif, ultime et éclairé ; ce Synode que j’appelle de mes vœux.

Je crois que la République Démocratique du Congo a perdu sa place, sa puissance et son règne pour un bon moment et qu’il nous faudra, peuple congolais, pendant longtemps une patience désespérée, une révolte attentive pour retrouver la part de prestige nécessaire à toute nation. Mais je crois que notre pays a perdu tout cela pour des raisons évidentes. Et c’est pourquoi l’espoir ne doit pas nous quitter. Pour prendre conscience des réalités de la crise des Grands lacs qui menace la survie de notre pays, nous avons dû revenir de loin. Et c’est pourquoi nous avons été en retard sur tous les Etats impliqués dans cette crise sournoise, précipités au mensonge dès qu’il fallait, pendant que nous Congolais, nous nous mêlions de chercher la vérité sur les raisons vraies de cette crise des Grands lacs avec ses ramifications en Afrique centrale. C’est pourquoi nous avons commencé par la défaite, préoccupés que nous étions, pendant que le reste des protagonistes se jetait sur notre pays, de définir en notre intelligence si le bon droit international était pour nous, si la Communauté internationale fondée sur la Charte de San Francisco était une communauté de droit ? Il nous a fallu tout ce temps pour comprendre que c’est l’existence même de notre nation qui était au cœur de cette crise. Et c’est ce temps perdu et retrouvé, cette défaite acceptée et surmontée, cette humiliation digérée, ces scrupules payés par le sang, qui nous donnent le droit, à nous Congolais, de penser que nous étions entrainés dans cette crise des Grands lacs les mains pures et que nous allons en sortir les mains pures, mais de la pureté d’une grande victoire remportée contre l’injustice et contre nous-mêmes Congolais.

Le sentiment de vivre dans un Etat en conflit permanent, dans une sorte de citadelle assiégée, m’a amené à examiner toutes les questions à travers le prisme sécuritaire et régional. Les questions de la sécurité, de la stabilité de notre pays, de sa cohésion nationale, de son intégrité dans une sous région en proie à l’instabilité, la question de son positionnement géographique, la question de ses relations avec ses voisins m’ont amené à réfléchir sur une stratégie de sortie de crise politique qui tient compte de tous ces paramètres.

Nous sortirons vainqueurs de toute épreuve grâce à cette défaite même, à ce long cheminement qui nous a fait trouver nos raisons, à cette souffrance dont nous avons senti l’injustice et tiré la leçon. C’est cette conviction que j’ai voulu mettre à l’épreuve de la réflexion dans mon plan de sortie de crise où j’ai rassemblé toutes les raisons que nous avons d’espérer, malgré tout, en l’avenir de notre pays. J’ai tenu à y préserver ma liberté de réflexion, et mes analyses, de ce fait, n’engagent personne d’autre que moi. J’espère simplement que cette réflexion, nourrie de mes convictions, permettra de démontrer que le réel et le réalisme politique ne sont pas incompatibles avec une légitime ambition de changement qui n’affecte pas la cohésion nationale, la paix et la stabilité de notre pays.

Aujourd’hui, mon souci, prenant la plume, est de dire aux Congolais que tout malheur national appelle d’abord un examen de conscience. Quand les rêves d’une génération tombent en cendres, en arrive une autre pour ranimer la flamme. Nous devons, tous ensemble, montrer au reste du monde que l’idéal congolais de bâtir un pays plus beau qu’avant n’a rien d’un rêve chimérique. Et dans ce monde où plus rien n’a de sens, ceux qui, comme nous, Congolais, ont la chance d’en trouver un au destin de leur pays doivent tout lui sacrifier pour atteindre cet idéal. Mais, je ne puis croire qu’il faille tout asservir au but que l’on poursuit. Je pense qu’il est des moyens qui ne s’excusent pas. Je ne veux pour cette mission salvatrice recourir à n’importe quel moyen, fût-ce celui de la démagogie, de la compromission, du rejet de l’autre, du mensonge, de la complaisance, et de la trahison. Nous appartenons à une jeune nation en reconstruction, admirable et persévérante qui, par-dessus son lot d’erreurs et de faiblesses depuis sa prise de souveraineté, n’a pas laissé perdre l’idée qui fait toute son unité, sa cohésion et sa grandeur et que son peuple depuis des temps immémoriaux, ses élites quelquefois, cherchent sans cesse à formuler de mieux en mieux.

Nous sommes un jeune peuple. Depuis cinquante ans, disons depuis notre accession à la souveraineté, nous avons surmonté des moments de détresse, des drames nationaux, presque des pertes d’identité. La réalité nationale a toujours transcendé l’événement. Nous appartenons à une nation qui depuis deux décennies a recommencé le parcours de toute son histoire et qui, dans les décombres de la tragédie humaine des Grands lacs, se prépare tranquillement, sûrement, à en refaire une autre et à courir sa chance dans un jeu où elle part avec des considérables atouts. Nous devons rassembler tous les congolais pour les grandes causes qui nous attendent et créer en toutes circonstances les conditions d’une véritable communauté nationale.

La question du pardon est centrale dans toute vie nationale séquencée par des tragédies humaines. Mais tous les pardons n’ont bien sûr pas la même dimension historique, mais on ne fait rien de grand sans pardonner, sans réconcilier. Notre condition humaine est bien celle de la faiblesse. Et l’erreur humaine est coutumière. Que reste-t-il alors de l’humanité sans pardon ? Rien. Cela vaut dans un pays comme dans la politique.

Je mesure le poids de l’histoire, sa rigueur, sa grandeur ; seule la communauté nationale congolaise entière doit répondre aux exigences du temps présent. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de rassembler les congolais pour une grande œuvre de redressement national, c’est d’en appeler au patriotisme, contre la fatalité et la crise, comme nos parents l’avaient fait en leur temps, dans d’autres circonstances difficiles pour l’indépendance de la nation congolaise. Nous devons agir avec résolution pour que, dans la fidélité à ses engagements, la République Démocratique du Congo trouve le chemin des réconciliations nécessaires. Nous avons tant à faire ensemble. C’est la raison pour laquelle je fais appel à nos anciens. Ils doivent nous guider vers la flamme de l’espérance en facilitant la tenue de ce dialogue ultime et éclairé.