J'entends de temps en temps, en diaspora, la voix lasse d'une sorte de fatalisme : " le deÌclin congolais est ineÌluctable, nous avons eÌpuiseÌ nos capaciteÌs de renouvellement et de reÌsistance ". C'est, je crois un lamentable eÌtat moral engendreÌ par un faisceau de sentiments plus ou moins confus, et d'abord celui-ci, que l'humiliation apocalyptique la plus seÌveÌ€re que vit actuellement notre peuple a implanteÌ dans le cÅ“ur du congo-zaïrois : le sentiment obscur que notre patrie ne renaiÌ‚tra plus jamais de ses cendres.
Comment pouvons nous accepter l'humiliation sadique infligeÌe à notre patrie sans reÌagir? Certes, la situation de notre pays est treÌ€s mauvaise, mais moins deÌsespeÌreÌe qu'il y paraiÌ‚t. Je n'ai jamais penseÌ que l'occupation de notre pays eÌtait irreÌversible. Je pense simplement que demain corrigerait hier et que la dernieÌ€re victoire nous reviendra. Nous serons vainqueurs, n'en doutez pas. Mais nous serons vainqueurs graÌ‚ce à cette deÌfaite meÌ‚me, à ce long cheminement qui nous a fait trouver nos raisons, à cette souffrance dont nous avons senti l'injustice et tireÌ la leçon. Mais une victoire qui aura un prix. Nous ne devons donc pas nous reÌsigner. La reÌsignation est une forme de trahison, de soi-meÌ‚me et des autres. Nous devons vivre dans l'espoir, et nous avons l'obligation de nous ressaisir et montrer au monde que nous ne sommes pas un ramassis de laÌ‚ches incapables de nous battre et de nous organiser pour deÌfendre notre cause, ou meÌ‚me une bande de parasites reÌtifs au vrai travail, et tout juste bons à faire de l'argent et à danser comme d'aucuns pensent de nous.
Il est vrai que six anneÌes apreÌ€s la deÌbaÌ‚cle d'octobre 1996, l'effondrement de la ReÌpublique et du peuple au Congo-Zaïre est si profond, que tout le monde paraiÌ‚t aujourd'hui saisi de vertige et priveÌ de sentiment et de raison : c'est à peine s'il est encore possible de se souvenir de la grandeur passeÌe de notre patrie ; tant la puissance et la beauteÌ d'autrefois apparaissent comme dans un reÌ‚ve en face de la miseÌ€re nationale d'à preÌsent. On peut ainsi comprendre comment le sublime nous a eÌbloui au point de nous faire oublier la recherche des symptoÌ‚mes de l'effroyable effondrement, symptoÌ‚mes qui devaient pourtant deÌjà exister sous une forme ou sous une autre. Sans doute, cette façon de voir ne concerne que ceux qui ne consideÌ€rent pas seulement le Congo-Zaïre comme un seÌjour ouÌ€ l'on gagne de l'argent : il n'est, en effet, que ceux-là pour appreÌcier l'eÌtat actuel comme un deÌsastre ; les autres, au contraire, le regardent comme l'accomplissement longtemps attendu de leurs vÅ“ux jusqu'alors inassouvis. Pourtant les symptoÌ‚mes de l'effondrement de notre nation, de l'effroyable situation humanitaire du peuple zaïrois eÌtaient alors manifestes, bien qu'il n'y euÌ‚t que bien peu de gens avertis pour en tirer un enseignement.
L'explication de nos malheurs actuels qui vient le plus facilement à l'esprit et qui est, par suite, la plus reÌpandue, est la suivante : nous avons à supporter les suites de la guerre que nous avons perdue, donc la cause de notre situation malheureuse, c'est la guerre perdue. Si l'on vient à comprendre que le deÌsastre militaire ne se trouve qu'au deuxieÌ€me ou au troisieÌ€me plan, et que le premier roÌ‚le est tenu par les facteurs politiques et moraux, alors seulement il sera possible de saisir la cause des malheurs actuels et, par suite, de trouver le moyen et le chemin de la gueÌrison. Il faut donc d'abord, diagnostiquer correctement le mal, faute de quoi il est impossible de le combattre. Diagnostiquer correctement le mal, c'est avant tout eÌviter de tomber dans un eÌcueil eÌgalement pernicieux qui consiste à nier tout bonnement la maladie.
Aussi la recherche des causes de l'eÌcroulement du Congo-Zaïre est-elle d'une importance deÌcisive ; elle est à la base d'un mouvement politique dont le but doit eÌ‚tre preÌciseÌment de vaincre la deÌfaite elle-meÌ‚me et de refaire la ReÌpublique.
Certes, la deÌbaÌ‚cle militaire depuis 1996 fut d'une importance tragique pour l'avenir de notre patrie, mais elle n'est pas la cause principale et essentielle de notre deÌtresse actuelle : elle n'est elle- meÌ‚me que la conseÌquence de l'inconduite politique de nos dirigeants, conseÌquence qui, il faut le dire, constitua le commencement d'un autre effondrement, celui-là plus visible : la deÌfaite militaire. Mais, est-ce que notre deÌfaite militaire devait-elle conduire à un effondrement aussi complet de notre patrie ? Depuis quand une guerre malheureuse conduit-elle à un tel deÌsastre, à une telle deÌreÌliction ? Il en est toujours ainsi quand, dans sa deÌfaite militaire, un peuple reçoit le prix de l'eÌtat de corruption, de la laÌ‚cheteÌ, de manque de caracteÌ€re, bref de l'indigniteÌ de ses dirigeants politiques. S'il n'en est pas ainsi, la deÌfaite militaire agit plutoÌ‚t comme stimulant pour une nouvelle ascension vers un niveau plus eÌleveÌ.
Malheureusement, la deÌfaite militaire du Congo-Zaïre n'est pas une catastrophe immeÌriteÌe, mais le chaÌ‚timent eÌquitable d'une quelconque justice " eÌternelle ". Nous avons, par notre inconduite civique et par manque de conviction à deÌfendre notre cause, plus que meÌriteÌ cette deÌfaite. Elle n'est que le pheÌnomeÌ€ne exteÌrieur de deÌcomposition le plus grand, parmi une seÌrie de pheÌnomeÌ€nes internes, qui, bien que visibles, eÌtaient resteÌs cacheÌs aux yeux de la plupart de nos compatriotes et que nul ne voulait voir.
Lorsqu'on observe les pheÌnomeÌ€nes annexes qui caracteÌrisent la manieÌ€re dont nous acceptons la deÌfaite depuis 1997 et subissons encore aujourd'hui l'occupation de notre pays, on reconnaiÌ‚t bien clairement que la vraie cause de notre effondrement doit eÌ‚tre chercheÌe ailleurs que dans la deÌfaite, purement militaire, dans la perte de quelques positions, ou dans l'eÌchec d'une offensive. Car si la guerre eÌtait vraiment perdue en tant que front et si sa ruine euÌ‚t entraiÌ‚neÌ celle de la patrie, le peuple du Congo- Zaïre aurait supporteÌ tout diffeÌremment sa deÌfaite et l'occupation de son territoire. On aurait alors subi les deÌtresses et amertumes conseÌcutives à cette deÌfaite en serrant les dents ; domineÌs par la douleur, nous aurions fait entendre des plaintes au nom de notre patrie. Une coleÌ€re patriotique et citoyenne aurait rempli nos cÅ“urs à l'eÌgard de l'ennemi devenu vainqueur et occupant graÌ‚ce à la perfidie du hasard ou aux volonteÌs du destin. MeÌ‚me l'occupation de notre pays n'aurait eÌteÌ subie qu'avec la raison, tandis que le cÅ“ur aurait eÌteÌ deÌjà battu pour le releÌ€vement futur de notre sacreÌe patrie.
C'est ainsi qu'euÌ‚t eÌteÌ accepteÌe la deÌfaite et veÌcue l'occupation si nous ne la devions qu'au destin. Alors on n'aurait pas exprimeÌ nettement et de la façon la plus eÌhonteÌe, dans certains milieux, de la joie sur le malheur de la patrie à travers la deÌfaite militaire, on n'aurait ni ri ni danseÌ, on ne se serait pas vanteÌ de laÌ‚cheteÌ d'avoir ameneÌ le fleÌchissement du front, on n'aurait pas glorifieÌ cette deÌfaite, on n'aurait pas insulteÌ nos troupes vaincues au retour du combat, on aurait pas, au mois de mai 1997, applaudi le lynchage en public de nos soldats à Kinshasa par l'ennemi devenu vainqueur, on serait au contraire venu au devant de nos soldats battus en les remerciant, au nom de la patrie, des sacrifices deÌjà consentis, et en les invitant à ne pas deÌsespeÌrer de la ReÌpublique.
Notre deÌsastre, au point de vue militaire, n'est elle-meÌ‚me que la suite d'une seÌrie de pheÌnomeÌ€nes morbides et d'excitations qui les avaient produits et qui, deÌjà en temps de paix, avaient atteint la nation congo-zaïroise. Ce fut là la premieÌ€re conseÌquence, visible pour tous, d'un empoisonnement des traditions et de la morale civique, d'une diminution de pulsion de vie, de l'instinct de conservation et des sentiments qui s'y rattachent, maux qui, depuis de nombreuses anneÌes deÌjà, commençaient à miner les fondements du peuple et de la ReÌpublique au Zaïre redevenu ReÌpublique DeÌmocratique du Congo.
Si l'on prend la peine de jeter aujourd'hui un regard sur la façon dont est conduite la politique de la ReÌpublique DeÌmocratique du Congo depuis " la reÌvolution " de mai 1997, on ne peut faire autrement, en preÌsence de la maladresse continuelle et incompreÌhensible de nos hommes politiques, que de se prendre la teÌ‚te entre les mains et de s'abandonner tout simplement au deÌsespoir, ou bien, souleveÌ par une ardente indignation, " de partir en guerre " contre une certaine classe politique congolaise. Ses actes n'ont jamais rien eu d'inconscient, car, ce qui pourrait paraiÌ‚tre inimaginable à tout cerveau capable de penser, les hommes politiques congolais sont arriveÌs à le faire : ils ont rechercheÌ humblement la faveur de l'ennemi devenu vainqueur.
Pour nos hommes politiques, la bonne entente avec les agresseurs est le seul moyen naturel d'acceÌder et de conserver le pouvoir. Cette perfidie de nos hommes politiques en fait de relation avec nos occupants transparaiÌ‚t de la façon la plus claire dans leurs deÌclarations, lorsqu'ils parlent de la sympathie plus ou moins grande que tel ou tel homme politique eÌtranger a manifesteÌ lors d'une neÌgociation à Pretoria, à Sun city, à Lusaka...., pour le Congo-Zaïre, et qui voient, dans les dispositions que l'on suppose à ces personnages à l'eÌgard de notre peuple, la garantie particulieÌ€re d'une politique favorable à nos inteÌreÌ‚ts. Raisonner ainsi, c'est commettre une incroyable absurditeÌ, c'est speÌculer sur la sottise sans pareille dont font preuve certains de nos hommes politiques du type courant quand ils speÌculent sur la politique eÌtrangeÌ€re et la diplomatie. Il n'y a pas d'homme politique rwandais, ougandais, burundais, ou zimbabweÌen, qui n'ait jamais pris position comme " congophile ". Tout homme politique rwandais est naturellement en premier lieu rwandais, tout burundais est d'abord burundais et l'on ne trouvera pas d'ougandais qui soit preÌ‚t à faire une autre politique qu'une politique " ougandophile ". Le congolais ou celui donc qui preÌtend eÌdifier des alliances sur les dispositions congophiles des hommes politiques influents de tel ou tel pays en belligeÌrance directe ou indirecte avec le Congo-Zaïre n'a pas compris l'essentiel de la diplomatie internationale qui n'a pas pour morale la philanthropie mais la deÌfense ou le triomphe des inteÌreÌ‚ts dont on a la charge. La condition neÌcessaire pour que les destineÌes de deux peuples s'enchaiÌ‚nent l'une à l'autre n'est pas une estime ou une sympathie reÌciproque, mais bien la perspective des avantages que tirera de l'association chacun des contractants. Les sophismes du genre : nous sommes tous des africains, donc nous ne saurions faire du mal aux filles et fils du Congo-Zaïre, n'impressionnent que les ignares et les faibles d'esprit.
Nos hommes politiques n'ont jamais eu de doute sur les buts poursuivis par nos occupants. Ce qui les forçait à agir comme s'ils avaient cru sinceÌ€rement que le destin du Congo-Zaïre pouvait eÌprouver un changement, c'est qu'ils se rendaient compte froidement qu'au cas contraire, notre peuple se serait vraisemblablement engageÌ sur une autre voie. Il y a vraiment parfois de quoi deÌsespeÌrer quand on voit avec quel art nos hommes politiques amusent notre peuple de questions tout à fait secondaires, signent des accords morts neÌs, provoquent des manifestations et des protestations, encouragent la prolifeÌration des sectes, pendant qu'au meÌ‚me moment nos colons africains preÌleÌ€vent de nouveaux morceaux de chair sur le corps de notre peuple et minent systeÌmatiquement les bases de notre indeÌpendance.
Les filles et les fils du Congo-Zaïre se doivent de garder devant leurs yeux, avec calme et sang- froid, cette ameÌ€re veÌriteÌ. Quand un peuple comme le noÌ‚tre cesse, par suite de son manque absolu de pulsion de vie et d'instinct de conservation, de pouvoir eÌ‚tre un allieÌ actif dans ses relations exteÌrieures, il tombe tout simplement au rang de peuple esclave et sa patrie eÌprouve le sort reÌserveÌ à une colonie. Telle est aujourd'hui la situation de notre ReÌpublique DeÌmocratique du Congo. Ce que souhaitent nos adversaires, c'est d'empeÌ‚cher que le Congo-Zaïre ne forme une puissante patrie homogeÌ€ne ; c'est la creÌation d'une feÌdeÌration des petits Etats congolais dont les forces s'eÌquilibrent et qui ne soient pas soumis à une autoriteÌ centrale patriotique, efficiente et efficace. Si nous voulons reÌellement obtenir devant l'histoire la conseÌcration d'une grande mission sacreÌe d'une geÌneÌration en faveur de notre peuple, nous devons, pleinement et douloureusement eÌ‚tre conscients de la veÌritable situation du peuple congo- zaïrois sur terre et surtout dans notre espace reÌgional, entreprendre avec courage et clairvoyance la lutte contre l'inconscience et l'incapaciteÌ qui ont guideÌ jusqu'à preÌsent la gestion de la politique de notre pays. Nous devons alors, sans eÌgards pour preÌjugeÌs et traditions seÌculaires, trouver le courage de rassembler notre peuple, son geÌnie et sa puissance, pour le lancer sur la voie qui le sortira de son infortune et accablante situation actuelle et le meÌ€nera vers une situation de puissance reÌgionale, le libeÌrant ainsi à jamais du danger de disparaiÌ‚tre de notre espace reÌgional ou de demeurer l'esclave des autres, de supprimer aussi le deÌsaccord existant entre notre passeÌ historique et notre impuissance actuelle à laquelle il n'est point d'issue.
Ceux qui se figurent que la question de l'inteÌgriteÌ territoriale du Congo-Zaïre pourra eÌ‚tre reÌsolue par des protestations, des deÌclarations, des deÌfileÌs, ou des accords intereÌtatiques de complaisance, n'ont pas pris la mesure de la difficulteÌ dans laquelle se trouve notre pays. Le Rapport de l'ONU sur les meÌcanismes de pillages des richesses de notre pays est là pour nous donner la mesure des difficulteÌs auxquelles nous allons faire face pour restaurer notre patrie.
Mais ce qu'il y a de plus meÌprisable dans cette affaire, c'est que les protagonistes congolais ne croient pas eux-meÌ‚mes que les moyens qu'ils emploient puissent donner de reÌsultat. Ils savent treÌ€s bien combien leurs parades de foire sont inefficaces et inoffensives. Mais ils agissent ainsi parce qu'il est naturellement plus facile aujourd'hui de bavarder au sujet de la reÌcupeÌration de notre KIVU sacreÌ et d'autres territoires sous occupation qu'il ne l'eÌtait autrefois de combattre pour les conserver. Naturellement, il est plus simple aujourd'hui de recommencer à combattre pour ce territoire, puisque ce combat n'est livreÌ qu'avec des armes "spirituelles", et il est, en tous cas, plus facile de s'enrouer à discourir dans une reÌunion diplomatique à Sun City, Pretoria, Lusaka, Gaborone ou à Luanda, en manifestant la noble indignation qui remplit votre cÅ“ur.
Il faut pourtant arriver à se rendre compte que nous ne pourrons rentrer en totale possession de nos territoires occupeÌs ni par des invocations pusillanimes solennelles adresseÌes au ciel, ni par les espoirs pieux qu'on fonde sur des neÌgociations interafricaines de complaisance, ou sur un dialogue inter- belligeÌrants congolais sans reÌelles perspectives de paix, mais seulement en nous reÌconciliant rapidement, et mettre en place une structuration institutionnelle leÌgitime et capable de reÌpondre rapidement aux attentes urgentes de notre peuple, de neÌgocier efficacement les modaliteÌs de reÌ€glement du conflit qui saigne notre pays.
Quant à la tentative d'explication faite par bon nombre d'observateurs de la crise congolaise et par beaucoup de nos concitoyens qui preÌtendent trouver, dans la mollesse et dans le lamentable eÌtat moral dont souffre actuellement notre peuple, les raisons de la conduite des protagonistes de notre paysage politique actuel, elle doit eÌ‚tre reÌfuteÌe de la manieÌ€re la plus deÌcisive. Il en est de meÌ‚me pour les critiques infondeÌes sur les preÌtendues nuisances au patriotisme, de la religiositeÌ de la masse populaire congolaise.