Nous devons utiliser toute notre eÌnergie spirituelle pour le salut de notre patrie. Pour le salut de notre Congo-Zaïre, nous devons faire une symbiose entre le christianisme pratiquant et le patriotisme militant. Le langage, l'esprit, chacun des actes de la vie cultuelle doit eÌ‚tre mis au service de l'ideÌologie patriotique.
La religiositeÌ ou du moins la pratique du culte avec pieÌteÌ par la masse populaire zaïroise fait souvent l'objet de critiques infondeÌes, voir meÌ‚me des moqueries qui ne peuvent pas laisser indiffeÌrents ceux qui sont sensibles à la cause du peuple congo-zaïrois. Certains osent meÌ‚me comparer la pratique de la foi à un anestheÌsiant paralysant toutes les faculteÌs patriotiques et citoyennes des populations zaïroises. Et d'autres vont jusqu'à soutenir que la pratique du culte procure aux zaïrois une ataraxie suicidaire, ou du moins une quieÌtude absolue de l'aÌ‚me insensible aux menaces seÌrieuses qui peÌ€sent sur l'existence de notre pays. Il faut remarquer avec quel meÌpris continuent les railleries contre les bases dogmatiques de toutes les religions et organisations confessionnelles, sans lesquelles pourtant, en ce monde humain, on ne peut concevoir la survivance effective d'une foi religieuse. Or on oublie que, au Congo-Zaïre, l'engouement à la vie religieuse s'est produit preÌciseÌment à une eÌpoque ouÌ€, par ailleurs, tout commençait à s'amollir et à chanceler, et ouÌ€, dans ces conditions les bases des traditions et de la morale, menaçaient de s'eÌcrouler. La pratique du culte a eu au moins le meÌrite de confeÌrer une importance deÌcisive à la question de soliditeÌ inteÌrieure de zaïrois pratiquants. Exception faite de quelques grands esprits, pour la plupart des hommes une foi doit eÌ‚tre entretenue, c'est-à-dire durer. Or, le commun des mortels a besoin, pour entretenir sa foi, de structurer celle-ci autour d'ideÌes cleÌs et d'une pratique. C'est le roÌ‚le des Eglises, qui produisent leurs dogmes. Aussi les dogmes sont pour les religions ce que sont les lois constitutionnelles pour l'Etat : sans eux, à coÌ‚teÌ de quelques centaines de mille congolais haut placeÌs qui pourraient vivre sagement et intelligemment, des millions d'autres ne le pourraient pas. Ce n'est que par les dogmes que l'ideÌe purement spirituelle chancelante et indeÌfiniment extensible est nettement preÌciseÌe et transmise dans une forme sans laquelle elle ne pourrait pas se transformer en une foi. Sinon l'ideÌe ne pourrait jamais se deÌvelopper en une conception philosophique.
Mais, meÌ‚me si je pense reÌellement que la foi ne soit pas neÌcessairement et ineÌvitablement lieÌe à des dogmes, et qu'il peut y avoir une foi en Dieu sans dogme, je dois reconnaiÌ‚tre que le combat contre les dogmes religieux en soi ressemble beaucoup dans ces conditions, au combat contre les bases leÌgales geÌneÌrales de l'Etat ; et de meÌ‚me que cette lutte s'acheÌ€verait par une compleÌ€te anarchie telle que nous la vivons aujourd'hui au Congo, de meÌ‚me la lutte contre la spiritualiteÌ s'acheÌ€verait en un nihilisme religieux deÌpourvu de valeur. Certes, il ne faut pas attribuer la moindre responsabiliteÌ de la situation religieuse au Congo-Zaïre à ceux qui ont par trop alourdi l'ideÌe religieuse d'accessoires purement temporels : parce que le pire ce sont les deÌgaÌ‚ts causeÌs par le mauvais emploi de la conviction religieuse à des fins autres que spirituelles. On doit plutoÌ‚t s'eÌlever seÌveÌ€rement contre les miseÌrables meneurs qui veulent voir, dans la religion, un moyen susceptible de servir leurs inteÌreÌ‚ts politiques et leurs affaires. Et ces commerçants de la spiritualiteÌ gueulent leur profession de foi par le monde avec une voix d'ange, afin que tous les autres pauvres gens puissent les entendre, non pas pour en mourir, mais pour mieux en vivre. Pour un simple coup d'eÌpaule politique de valeur correspondante ils vendraient toute leur foi. Pour une " concession " minieÌ€re au Kivu, au Katanga ou au Kasaï, ils adheÌreraient aux sectes de nos occupants ; et pour un fauteuil ministeÌriel, ils en iraient jusqu'au mariage avec le diable, à condition que celui-ci n'ait gardeÌ aucune trace de deÌcence. Si aujourd'hui, au Congo-Zaïre, la vie religieuse a un arrieÌ€re-gouÌ‚t deÌsagreÌable pour certains laïcs, les agnostiques, les profanes..., cela tient au mauvais usage, à l'usage mercantile de la foi que certaines organisations confessionnelles en font. Mais, ne pas appartenir à une Eglise, lorsqu'on est un croyant au Congo-Zaïre, exige un grand heÌroïsme, c'est une aventure individuelle de l'esprit treÌ€s difficile.
La grande masse de la population du Congo-Zaïre n'est pas composeÌe de " philosophes " ; or, pour la masse, la foi est souvent la seule base d'une conception morale de la socieÌteÌ. Depuis la nuit de temps les divers moyens de remplacement ne se sont pas montreÌs si satisfaisants dans leurs reÌsultats, pour que l'on puisse envisager, en eux, les remplaçants des confessions religieuses. Mais si l'enseignement et la foi religieuse portent efficacement sur les couches les plus eÌtendues, alors l'autoriteÌ incontestable du contenu de cette foi doit eÌ‚tre le fondement de toute action efficace pour la reÌconciliation nationale. Le pardon, la chariteÌ ne sont-ils pas eÌgalement les valeurs de dogmes du christianisme religieux ?
Je suis convaincu que l'appreÌciation de la valeur d'une pratique religieuse doit eÌ‚tre deÌtermineÌe moins par les quelques deÌficiences qu'elle peut preÌsenter, que par les bienfaits des compensations nettement plus bienfaisantes. Mais tant que l'on ne trouve pas une telle compensation, et maintenant ouÌ€ les bases des traditions et de la morale s'eÌcroulent sous l'effet de la miseÌ€re, il est imprudent de stigmatiser ce refuge digne pour ceux qui n'ont rien à attendre des deÌcideurs politiques du Congo. La responsabiliteÌ de l'Etat et de l'homme politique n'est pas de deÌtruire mais d'organiser la pratique du culte pour qu'elle soit conforme à l'ordre moral, social et public.