Election et recensement de la population

L’élection est un moment essentiel de notre vie publique. Elle assure l’alternance politique démocratique. Elle est l’occasion, pour un candidat, d’exposer au peuple son projet et sa perspective. Pour qu’elle soit crédible, l’élection doit se faire en toute transparence.

Les élections libres supposent que les candidats aux différents échelons électoraux doivent pouvoir circuler librement à  travers le territoire national sans être inquiétés par qui et quoi que ce soit, et ce sous la protection de la territoriale et des forces de l’ordre, deux corps qui doivent être neutres et apolitiques et qui doivent être aussi les garants des élections transparentes. Elections transparentes, c’est-à -dire sans tricherie aucune, sans pressions quelconques de ces corps neutres et apolitiques. Or, dans le contexte politique et social actuel, la nation congolaise peut-elle vraiment compter sur eux ?

Que vaut en effet un scrutin électoral dans un pays où la méfiance, les agendas cachés, la contestation systématique des décisions de la Commission électorale nationale indépendante et de la Cour suprême de justice sont la règle, alors que les vraies règles du jeu politique sont méconnues et bafouées.

Des élections sérieuses ne peuvent avoir lieu dans la RDC contemporaine et ceci pour plusieurs raisons dont on rapportera principalement deux. D’une part, sur le plan de l’organisation administrative, tout est encore à  faire, sinon à  refaire. Les services administratifs n’ont reçu aucune sorte de commencement de formation pour disposer des aptitudes nécessaires à  la préparation de consultations sérieuses. Elle ne peut donc s’engager que dans des approximations dont on ne manque de percevoir le réel et final bénéficiaire. D’autre part, en l’absence de recensement officielle de la population, comment savoir précisément qui peut voter ?

Le droit à  des élections libres est, certes, l’empreinte de l’expression démocratique; cependant, l’organisation des élections dans un contexte politique, social et économique manifestement instable au Congo Zaïre ne peut en aucun cas permettre de construire une seule et même nation harmonieusement intégrée et de consolider l'unité nationale afin de donner une véritable âme à  notre Etat.

Ainsi la révision de l’article 71, qui prévoit l’élection du Président de la République Â«à  la majorité simple des suffrages exprimés », est un motif de «contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs», option que voulait plutôt éradiquer le Constituant de 2006, et une source sérieuse d’inquiétudes quant à  l’issue réellement démocratique du processus électoral. Ainsi cette démarche renferme les germes de la rupture du pacte républicain, fondé sur le consensus, dont la Constitution adoptée par référendum est précisément le reflet. Cette démarche rétrograde a pour unique résultat de créer une suspicion légitime dans le chef des Congolais car elle autorise la confiscation de tous les pouvoirs d’Etat par un individu.

Il s’agit là  d’un piège dangereux qui n’est pas de nature à  favoriser un jeu politique clair et transparent. Les élections démocratiques doivent être un temps fort et incontournable dans le processus de réconciliation nationale et de reconstruction de notre pays. Il n’est donc pas question de le galvauder en s’hasardant dans des approximations dont le véritable bénéficiaire ne sera jamais le peuple Congolais.

L’institution d’un tour unique pour l’élection présidentielle a pour conséquence inéluctable, le rétrécissement de la légitimité du chef de l’Etat, avec comme corollaire, la multiplication des contestations de son pouvoir et perpétue une instabilité politique qui peut être fatale pour le Congo.

Par ailleurs aucune disposition n’est à  ce jour arrêtée pour permettre aux différents et/ou principaux partis politiques d’opposition de bénéficier d’une quelconque dotation publique légale pour mener à  bien une campagne électorale sur l’étendue du territoire. Cela créée une inégalité de fait entre l’opposition politique et les autorités, constitutionnellement chargée d’organiser les élections, qui disposent quant à  elles de la totalité des leviers du pouvoir tant coercitifs (armée, police, renseignements) que financiers (Banque nationale, ministère des Finances). Par conséquent les risques de la persistance de l’instabilité politique, de l’insécurité et de l’arrêt du processus d’émancipation démocratique au Congo sont multiples et méritent donc d’être considérés.

Sous cet angle, il est légitime de penser que la perspective des élections ne peut qu’accroître les tensions entre les protagonistes politiques qui en freinent, voire tente d’en détourner le bon déroulement du processus. Les conditions juridiques et sécuritaires propices à  la mise en Å“uvre d’un processus d’élections démocratiques au Congo sont loin d’être réunies.

Pour que les élections démocratiques aient à  l’avenir des chances d’être tenues et sécurisées, il faut d’abord pacifier le pays. La situation sécuritaire sur l’ensemble du territoire est toujours préoccupante et incertaine. L’absence d’un dispositif défensif crédible condamne la nation à  la vulnérabilité par rapport aux menaces réelles ou virtuelles et la prive de toute capacité d’action, de protection et de projection de son avenir.

Le plan quinquennal global que je propose pour la stabilisation politique et sécuritaire et pour l’émancipation démocratique et sociale, fixe un délai de trois ans pour l’accès du peuple congolais à  la démocratie par le scrutin, en précisant les étapes à  franchir progressivement, en fonction de l’échéance: recensement des populations ; élections locales et provinciales, élections législatives, élections présidentielles. La philosophie de ce plan peut se définir comme suit: organisation, sans précipitation inconsidérée, mais progressive d’une démocratie congolaise, construite en partant des communes et des territoires (élections locales) puis, par des mécanismes d’élection au second degré et désignation, aux provinces et à  l’Etat central.

Quant au mode de scrutin, j'estime responsable de retenir:

  • le scrutin majoritaire à  deux tours pour les élections à  dimension nationale (élections législatives, présidentielles), capable de dégager des majorités cohérentes et durables au sein des assemblées, gage de stabilité;

  • la représentation proportionnelle, favorable à  la prolifération des partis ne permettra pas au Congo d’obtenir des majorités parlementaires durable, mais dégagera des majorités qui se feront et se déferont au gré des alliances et des humeurs, ce qui entraînera l’instabilité politique que le pays ne peut plus se permettre, semble être la plus appropriée pour les élections locales parce qu’elle assurera mieux la représentation des minorités et donc des différents courants d’opinion aux assemblées locales dans les collectivités territoriales du Congo Zaïre.

Le recensement des populations constitue ensuite une étape fondamentale dans la chronologie du processus électoral car elle devrait précéder toute opération d’inscription et d’enrôlement des électeurs.

Aussi je propose un recensement général par l’état civil couplant l’établissement de registres de la population informatisés et comportant des données biométriques.

Dans un pays énorme, avec des moyens de communication physique très limités, dont on ne connaît pas exactement le nombre d’habitants ni où ils se trouvent, (on peut juste se baser sur un recensement qui remonte à  plus de 20 ans alors qu’il y a eu d’énormes déplacement de populations à  cause des conflits ethniques et des guerres qui ont affecté le pays et ses voisins) par quel miracle peut-on organiser des élections démocratiques crédibles ? La RDC doit à  ce titre faire face à  des sérieuses difficultés en termes de recensement de la population, exercice dont on ne mesure pas la réelle difficulté, mais dont la dangerosité se décline au regard des populations à  statut non clarifié pour nationalité indéterminée, alors même qu’elles résident sur le territoire congolais.

Le recensement des électeurs est essentiel pour que les scrutins soient libres et équitables puisqu’il permet, d’une part, la détermination du nombre de sièges par circonscription et, de l’autre, l’identification individuelle des personnes ayant le droit de participer aux scrutins, et il va donc au-delà  d’une simple opération d’enrôlement des électeurs qui ne peut être qu’une phase séquentielle de celui-ci et qui se révèle aujourd’hui, n’être qu’une forme d’arnaque pré-électorale au Congo.

Aussi pour garantir un succès incontestable au processus électoral et donc la paix civile au Congo, il faut procéder à  un recensement général des populations congolaises et étrangères résidant sur le territoire national.

Le recensement des électeurs est une des opérations pré-électorales les plus onéreuses et les plus fastidieuses, mais déterminante pour une issue favorable au processus d’émancipation démocratique d’un Congo qui n’est, aujourd’hui, que l’ombre de lui même en matière d’état civil.

Alors que l’état civil au Congo Zaïre est largement sinistré, il ressort du Rapport du service juridique du Centre d'Analyse et des Prévisions de l’UNIR MN que trois options existent à  ce stade :

  • soit un recensement strictement électoral, qui prendrait environ 6 mois et ne prendrait en compte que les citoyens en âge de voter ;

  • soit un recensement administratif, qui prendrait sans doute entre 9 et 12 mois, et qui permettrait de localiser et d’enregistrer toute la population se trouvant sur le territoire de la République pour en dresser une liste générale dont on pourra extraire la liste des électeurs ;

  • soit un recensement par l’état civil couplant l’établissement de registres de la population informatisés et comportant de données bio métriques, Celui-ci permettrait de localiser et d’enregistrer toute la population se trouvant sur le territoire de la République pour en dresser une liste générale dont on pourra extraire la liste des électeurs avec la mise en place d’une carte d’identité sécurisée, option la plus intéressante que nous avons, mais serait la plus onéreuse et qui prendrait sans doute un peu plus de six mois.

Aussi j’estime nécessaire un an pour organiser un recensement crédible à  l’intérieur du pays, sanctionné par la délivrance d’*une carte nationale d’identité sécurisée, informatisée et comportant des données bio métriques8, et à  l’extérieur pour tous les congolais résidant à  l’étranger sanctionné cette fois par une carte consulaire.

Dans ces conditions, on conviendra certainement qu’une élection quelque peu différée vaut mieux qu’une élection tenue dans le temps imparti, mais qui entraîne, comme en 1960, le Congo dans le chaos. Ne vaut-il pas mieux pourtant accepter ce sacrifice modeste pour éviter un sacrifice plus grand encore ?