Voici un peu plus d’un mois que je suis allé à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, mon pays. Ce retour au pays fût un moment essentiel de ma vie publique. Il a eu lieu dans un contexte très particulier : celui d’une crise politique qui se cristallise et dont on ne saurait minimiser la gravité. Ce fut l’occasion, pour moi, de nouer un dialogue avec le pays, de l’entendre, de lui parler et de lui présenter mon plan de sortie de crise. Si ce plan a un sens, peut-être une utilité, c’est que le moment était venu de sortir le pays de l’impasse politique. J’ai voulu faire cet effort d’aller chercher au fond de moi, dans la transcendance même, ma façon de mettre un terme de manière responsable à la crise politique qui se cristallise, afin de pouvoir relancer et achever le processus démocratique et électoral en RDC.

J’ai dit au peuple congolais, sans façon, sans artifice, ce que je crois vrai pour sortir le pays de l’ornière, et ce en quoi je crois pour l’avenir. Je sais néanmoins avec quel scepticisme les Congolais abordent aujourd’hui les projets politiques. Je comprends aussi qu’ils s’interrogent sur le sens d’un plan de sortie de crise porté par un homme qui ne fait pas partie du sérail politique congolais traditionnel comme ils le disent. Bref, un homme qui ne fait pas partie de « ceux que l’on ne présente plus ». Un inconnu venu d’ailleurs. Je reconnais bien qu’être inconnu du grand public - je veux dire de la masse populaire - est un sérieux handicap. Mais je pense que l’on ne peut pas mettre sur le même plan de la visibilité, des gens qui font partie du microcosme politique depuis plus de 15, 20 ou 50 ans, et celui qui appartient à la génération qui arrive sur la scène politique nationale, celui qui n’a pris part à rien et qui, loin de la théâtralité de certains, n’a qu’une seule ambition : sortir le pays de l’ornière dans une démarche réconciliatrice et inclusive, mais une démarche hérétique et réformatrice. Alors qu’il m’a toujours été reproché mon silence, bon nombre d’observateurs avisés, et même certains de ceux qui se considèrent comme adversaires, se sont interrogés sur la pertinence de mon choix de retourner au pays en cette période précise. Mais savez-vous que dans les autobus et les autocars, il est souvent écrit : « Il est interdit de parler au conducteur. » Pourquoi croit-on que l’on mette cela, sinon parce que le conducteur, il est prudent de le laisser conduire au risque de se retrouver dans un ravin. Beaucoup se sont interrogés : qu’est-il allé faire dans cette galère ? Pourquoi offre-t-il une bouée de sauvetage à un pouvoir en naufrage ? Je pourrais continuer la litanie de tout ce qui a été écrit ou dit. La liste est longue. On a créé autour du slogan «  Kabila dégages » une auréole de terreur telle que l’on peut difficilement étudier sérieusement la possibilité de permettre à l’actuel Président de la République une sortie honorable dans un climat apaisé, avec la possibilité de l’inscrire dans le processus inclusif et continu de refondation nationale, par exemple au sein du Suprême Conseil Constitutionnel de la République que je propose dans le cadre de mon plan de sortie crise, sans que pèse sur vous une contrainte psychologique consistant en ce que, au cas où vous ne l’attaqueriez pas suffisamment, vous seriez considéré comme son complice. Certains ont fait même de ce slogan un thème de campagne pour accéder à la magistrature suprême, bref un projet de société. Dans la classe politique congolaise, tout le monde veut devenir président de la République à tout prix, personne n’en a, pour le moment, la légitimité. Je vois dans cette inflation des positionnements à la fonction présidentielle le principe du jeu démocratique, mais aussi sans doute, la preuve qu’il y a aujourd’hui une crise de leadership dans l’opposition politique. Mais bon, il faut reconnaître que c’est une opposition plurielle avec ses faiblesses bien sûr. Or il faut dire que, pour être véritablement audible et crédible, l’opposition doit démontrer beaucoup d’aptitudes. La cohésion d’abord, c’est-à-dire la capacité à apparaître comme une équipe unie en dépit de sa pluralité. La cohérence ensuite : le sentiment donné que l’on sait où l’on va. La compétence bien sûr : la démonstration d’un savoir-faire tant global que secteur par secteur. La clarté ensuite, entendu comme la capacité d’expliquer les grandes orientations et d’exposer des mesures spécifiques pour sortir le pays de l’impasse politique, relancer et achever le processus démocratique. Le courage enfin, c’est-à-dire le savoir-affronter, le savoir-trancher et le savoir-reconnaître ses erreurs. J’ose espérer que l’opposition fera de cette grille une boussole pour conduire son action dans une démarche inclusive pour sortir le pays de l’impasse politique dans l’intérêt supérieur de la Nation. En l’absence de cette boussole et dans les conditions conflictuelles qui prévalent actuellement, comment pouvais-je me laver les mains des événements qui menacent notre pays de l’implosion ? Un pays dans l’impasse et qui va dans le mur. Une opposition qui veut en découdre. Un pouvoir qui campe sur ses positions en arguant de sa légitimité. Telles étaient les trois variables de l’équation qu’il me fallait tenter de résoudre avec mon plan de sortie de crise. Comment voulez-vous que je ne sois pas préoccupée par la situation ? Je n’accorde aucune importance à ces spéculations. Il y a des problèmes réels aujourd’hui en RD Congo. C’est ce qu’il faut résoudre au lieu de se perdre dans des procès d’intention.

Et, au final, j’aurais compris que les interrogations sur ma présence au pays soient soulevées avec intelligence. Toutes d’ailleurs ne sont pas sans fondement, et auraient mérité des explications en bonne intelligence comme je l’ai fait lors de mes interviews à la télévision. Malheureusement, je vois toutes les cabales et intrigues indécentes et indignes qui ont été dirigées contre moi et qui font horreur. Si ce n’était mon attachement et, j’ose dire, mon amour pour le Congo Zaïre qui me fait continuer mon combat, je voudrais être bien loin du microcosme politique congolais pour ne rien voir et ne rien entendre. Ce n’est pas en recourant à l’insinuation, à la calomnie, aux attaques personnelles que nous donnerons à la démocratie congolaise la qualité morale dont elle aura besoin demain plus que jamais.

Heureusement pour moi, je ne me suis jamais laissé impressionner par cette infime partie du microcosme que je ne tiens pas en grande estime. « Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec parcimonie à cause du grand nombre de nécessiteux », disait Chateaubriand. Et comme je n’aime mépriser personne, je me suis retranché dans la plus complète indifférence à l’égard de tous ceux qui m’assaillaient. Et puis, quelle impuissance à proposer un plan cohérent et approprié pour sortir la République Démocratique du Congo de l’impasse politique ! Comment, dans ces conditions, ce tumulte pouvait-il m’atteindre ? J’ai essayé de me tenir à l’écart de toutes ces intrigues et manœuvres. C’est le jeu politique, je le sais bien, même s’il est dur. La meilleure réponse pour moi, c’est de rester impavide. A la course aux invectives et à la brutalité de certains, j’ai préféré le dialogue, la réconciliation et le rassemblement de tous les congolais.

Moi j’ai pris mes quartiers dans la chambre du milieu. Je suis un homme de principe et non un homme de position, il n’est pas possible de comprendre mon tempérament, mon indépendance d’esprit, si on oublie ce postulat. Chez moi, les convictions et le service de l’intérêt général ne s’opposent pas, mais se complètent admirablement. Mes ambitions sont guidées par un idéal et non pour un intérêt personnel. Je ne suis pas un homme politique « professionnel ». Je suis homme politique par amour du Congo Zaïre. Je ne me rallie pas pour me rallier. Le devoir me rend libre. Je défends une certaine idée de la République citoyenne et de la dignité nationale autour du thème de l’intérêt supérieur de la nation : thème qui devrait nous rassembler tous au-delà de nos clivages idéologiques.

Je voudrais, aujourd’hui, en entrant au port après avoir échappé au naufrage de la critique simpliste de mes détracteurs, et m’abandonnant désormais, la tempête apaisée, au doux bercement des flots du fleuve Congo, redire franchement ce que je pense de notre pays et formuler quelques propositions pour  l’avenir. Car mon cœur, uniquement occupé de l’avenir de la République Démocratique du Congo, en remplit toute sa capacité, tout son espace, et hors les espoirs d’un avenir meilleur pour mon pays qui font désormais mes uniques jouissances, il n’y reste pas une place de vide pour ce qui n’est plus.

Si, en dépit de toutes ces calomnies, je poursuis ce combat, c’est que ma volonté n’a pas fléchi, c’est que j’ai conscience de la permanence des efforts et de la nécessité de leur renouvellement, c’est que je sais être un petit maillon d’une chaîne complexe mais exaltante, périlleuse mais utile au relèvement de mon pays et au progrès des peuples congolais.

Je suis venu et j’ai vu. J’ai vécu 13 jours à Kinshasa ou j’ai pu me rendre compte de certaines réalités. Durant mes prestations à la télévision, j’ai multiplié les avertissements à l’opinion nationale sur l’engrenage de la violence dans mes prises de position, j’ai rappelé que toute crise locale qui dure attire les forces négatives et échappe un jour à ses protagonistes au bénéfice de plus forts qu’eux. J’ai insisté et j’insiste sur l’irréductible droit de vivre de chacun, de chaque tribu, de chaque ethnie dans la cohésion nationale, et je m’efforce depuis de longs mois de faire prévaloir la raison pour sortir le pays de l’impasse. En effet, j’ai pris position en faveur d’un règlement définitif et général, tout en conservant une part d’indétermination, en préservant cette capacité de distanciation qui me permet de faire des choix. Ma vie politique s’organise selon mes choix parce qu’il n’y a pas de morale et d’idéologie politique supérieure. Evidemment, cette liberté m’a très vite valu d’être perçu dans la classe politique congolaise comme un individualiste forcené et iconoclaste alors qu’en réalité je défends et continue à défendre jusqu’au bout une position mûrie et choisie pour mettre définitivement fin à cette crise. Je suis contre l’« actionnisme », l’action pour l’action qui se désolidarise de la pensée et de la réflexion stratégique. Je suis contre toutes ces ambitions politiques mortifères, sans vision qui ont plongé le pays dans l’abîme et la désolation depuis le lendemain du 30 juin 1960 où le pays, écartelé par ses fils rapace du pouvoir, baignait dans la marée du sang fratricide des rébellions et des sécession. Je pense que dans la radicalité, il y a un danger majeur : le refus de l’autre, son déni, la volonté de l’anéantir et dans laquelle cet autre est réduit à sa plus simple expression.

Je disais, je suis contre l’« actionnisme ». Faut-il sacrifier encore notre peuple sous le prétexte de mettre fin à un pouvoir, quand nous ne savons ni protéger, ni défendre ce peuple contre des périls qui le menacent en cas de conflagration ? Combien sont morts hier, depuis la conférence nationale souveraine, sous les actions des organisations politiques et de la Société civile au nom du changement démocratique? Combien? Qu’en avons-nous fait ? Rien. Même pas un monument, même pas quelques célébrations et ce en leur mémoire. Pourquoi envoyer notre peuple à la mort alors que nous savons bien que nous ne saurons pas le défendre face aux périls de tout genre ? Je ne suis personnellement pas contre le fait que les congolais s’engagent et se battent pour le rêve qu’ils ont d’un Congo plus beau qu’avant.

Je pense plutôt que nous devons tirer des leçons du passé et proposer en retour des solutions originales au lieu d’embarquer notre peuple sur des voies qui se solderont par les mêmes déboires qu’hier.

 Je pense que nous devons proposer autre chose et d’efficace au peuple congolais au lieu de persévérer dans l’inefficience. Je refuse de m’inscrire dans la logique de l’actionnisme,  du « contentement de l’esprit » et après se laver les mains en se disant : on a fait quelque chose. Mais quoi ? Je n’encouragerai pas le sacrifice sans lendemain. Je suis convaincu que l’affrontement, uniquement pour dégager tel ou tel autre et soulager certaine mauvaise conscience, n’est pas la solution idéale dans une crise aussi complexe. Recourir à l’affrontement pour l’affrontement, c'est engager le pays dans un grand saut vers l'inconnu.

La préoccupation fondamentale d’un homme politique est d’abord le maintien de la paix. C’est un problème qu’il faut aborder avec vigilance et sang-froid sans céder aux mouvements passionnels. J’ai réfléchi à cette crise qui se cristallise et je suis plus que convaincu que nous ne pourrons pas faire l’économie d’un dialogue pour sortir notre pays de l’impasse. Je suis plus que jamais convaincu qu’il n’y a pas d’autres solutions que politiques pour sortir de l’impasse, et que le dialogue reste sa seule issue raisonnable pour notre pays. Mais je ne veux pas oublier davantage la préoccupation qui est mienne devant les freins qui se joignent pour empêcher que se dégage un audacieux et réaliste accord qui pourrait mettre un terme à cette crise afin que nous, Congolais, puissions ensemble relancer et achever le processus démocratique et électoral dans notre pays. C’est pourquoi je sollicite le concours actif de nos anciens. C’est la raison pour laquelle j’en appelle à la responsabilité de nos ainés, nos anciens. Ils doivent sortir de leur torpeur, pour qu’ils nous guident, qu’ils nous montrent la voie qui nous permet de sortir de l’impasse en nous facilitant le dialogue. C’est pourquoi je propose la mise en place de la Geronsia, un conseil national des anciens pour la facilitation et la coordination de l’ultime dialogue national sur la relance et l’achèvement du processus démocratique et électoral dans notre pays, que j’appelle synode.