Alcide De Gasperi avait l’habitude de dire : « Un homme politique pense à la prochaine élection, un homme d’Etat à la prochaine génération ».

Dans un pays politiquement en crise et où le processus démocratique est bloqué comme la République Démocratique du Congo, on attend des élections qu’elles mettent fin aux crises politiques. Pourtant, si toutes les précautions ne sont pas prises, elles peuvent aggraver les conflits existants voire devenir elles-mêmes sources de nouvelles tensions.

La République Démocratique du Congo a vécu deux fois les élections présidentielles et législatives (Assemblée nationale) depuis la mise en œuvre de la Constitution du 18 février 2006, toutes deux houleuses. Il s’en suit que toute nouvelle réflexion sur la gouvernance électorale se doit d’être une contribution pragmatique à l’apaisement de la vie politique nationale. J’invite la classe politique à une réflexion approfondie sur un nouveau programme de gouvernance électorale. Au-delà des aspects organisationnels pris en charge par la CENI, nous devons analyser les conditions d’acceptation du processus par tous les acteurs, les électeurs compris. De mon point de vue, il est nécessaire de comprendre que l’important n’est pas le vainqueur, ni le vaincu, mais la règle du jeu qui sert à les départager. La gouvernance électorale, telle que je la conçois, ne doit pas se limiter au seul bon fonctionnement des procédures. Elle doit viser à gagner la confiance de tous les acteurs pour qu’ils participent de bonne foi à la compétition et aussi œuvrer à la conscientisation du peuple congolais à participer massivement au scrutin. L’évolution des mentalités et des techniques ainsi que les exigences plus fortes nées des expériences passées offrent l’opportunité de construire un système électoral réellement utile au pays.

L’opportunité qui s’offre à nous doit être mise à contribution tant pour restaurer un climat d’apaisement et de sérénité au sein de l’espace politique que pour renouer et renforcer le lien de confiance entre la population congolaise et les acteurs politiques. La manière la plus efficace de réaliser ce consensus passe entre autres choses par l’adoption de mesures qui permettront à l’ensemble des Congolais de prendre plus activement, plus intelligemment et plus rationnellement part à l’exercice de la souveraineté nationale. Il s’agit en effet, par une politique responsable, de taire toutes les suspicions légitimes nées des erreurs et des maladresses.

L’exercice de la souveraineté nationale s’exerçant, comme le savons, constitutionnellement dans le cadre des élections et du référendum, c’est donc au premier chef l’organisation des conditions d’exercice de ces deux voies d’expression démocratique qui doit être rationalisée. Nous avons à cet égard beaucoup d’enseignements à tirer de l’analyse des soubresauts qui ont conduit à l’impasse politique actuelle. Une grande partie des tensions politiques accumulées ces derniers mois, voire ces dernières années, est en effet liée aux dysfonctionnements progressivement enregistrés à l’occasion de la tenue ou de l’absence de tenue des différents processus électoraux. Dès 2006, c’est en partie en raison de l’absence des conditions élémentaires préalables à la tenue régulière des scrutins que l’on a abouti à l’impasse politique actuelle. Ces conditions sont d’ordre procédural et sécuritaire.

D’un point de vue procédural, l’un des préalables fondamentaux à la tenue de tout scrutin qu’il soit national, provincial ou communal, ainsi qu’à la tenue de tout référendum est l’organisation d’un recensement général de la population incluant les Congolais de la diaspora. Un recensement devant aboutir comme je l’ai dit à la création d’un registre national de l’Etat civil, ou registre de la population, sur base duquel il sera possible d’émettre notamment une carte d’identité nationale et de constituer et entretenir ainsi les différents fichiers électoraux.

Les Congolais doivent comprendre que l’organisation des différents scrutins électoraux et de référendum n’est pas une finalité en soit mais juste un mode d’organisation de la démocratie et d’exercice de sa souveraineté populaire. Ce mode d’expression doit être organisé de manière plus rationnelle pour qu’il soit réellement effectif. Il lui faut des fondements plus solides. Il ne sert à rien d’exiger la tenue des élections à quelque niveau que ce soit dans l’ultime espoir, aussi légitime soit-il, de changer la majorité politique dès lors que l’outil électoral ou référendaire est inadapté et que les moyens financiers de sa mise en œuvre sont défaillants. C’est une porte ouverte aux graves dérives et dysfonctionnements que nous avons déjà connus.

C’est pourquoi, je propose l’adoption d’un moratoire électoral. Il s’agit de se donner le temps notamment de procéder au recensement général qui inclura les Congolais de l’Etranger, de régler la question de la nationalité congolaise (adoption de la double nationalité), d’adapter la loi électorale, d’adopter la loi sur le référendum et de constituer les budgets qui permettront de financer les prochaines élections.

En réalité, la réalisation d’un tel recensement général de la population, la confection des cartes d’identité nationales et des fichiers électoraux, est indispensable si l’on veut obtenir un consensus autour de la réalisation des réformes à venir et si l’on veut ancrer profondément le sentiment d’unité et de cohésion nationale.

C’est notamment le cas pour la grande réforme liée à la mise en œuvre du processus de décentralisation, avec la redéfinition de la carte administrative relative au nouveau découpage territorial, qui est au centre de la nouvelle organisation de l’Etat et qui concrétise l’effectivité de la participation responsable et active des citoyens aux affaires publiques. La réforme de la décentralisation implique en effet la définition de nouvelles provinces et de nouvelles localités qui doivent voir le jour. Certaines d’entre elles ne seront pas encore ou ne seront plus dotées des institutions qui exerceront légalement les compétences qui leur seront dévolues dans le cadre de la mise en œuvre de la décentralisation territoriale et fonctionnelle. Or pour procéder à ces scrutins provinciaux et locaux, il s’impose de savoir qui peut et doit voter ! Il faut donc des fichiers électoraux clairs. Sans cela nous risquons de retomber dans les mêmes travers liés à la tricherie et autres dysfonctionnements.

Notons au surplus que le recensement n’est pas seulement indispensable pour l’établissement final de fichiers électoraux. C’est aussi et avant tout un outil économique : il est indispensable pour la mise en œuvre qualitative des politiques économiques, sociales et fiscales à quelque échelon administratif que ce soit. Il conditionne la mise en œuvre des politiques budgétaires, la création et l’organisation des infrastructures administratives, hospitalières, sportives, scolaires et sociales. Bref, c’est un outil indispensable à la mise en œuvre des compétences d’attribution des entités décentralisées et donc à la réussite du modèle de décentralisation qui doit être mis en place.

D’un point de vue sécuritaire à présent, le moratoire électoral que je propose se justifie tant que les conditions sécuritaires ne sont pas réunies sur tout le territoire, surtout à l’Est de la RDC. Il est impossible de procéder à un recensement général tant qu’un minimum de sécurité n’a pas été rétabli et tant que des troubles subsistent dans les territoires affectés par les conflits. Les élections ne peuvent intervenir qu’à la condition d’un retour généralisé d’un minimum de sécurité.

Le moratoire électoral est donc une condition indispensable à la réussite de ce plan de sortie de crise lequel requiert une cohésion sans faille et à la mise en place progressive des fondations solides d’une nouvelle République.

Un consensus doit se dégager à cet égard afin de pouvoir travailler sereinement.

Une fois les conditions préalables à la mise en œuvre d’un scrutin ou d’un référendum régulier et réellement démocratique réalisées, nous pourrons alors mettre en œuvre les outils de l’expression souveraine. Et sans doute nous pourrons même raisonnablement envisager de coupler les différents scrutins afin d’éviter à l’Etat des dépenses inutiles.

Le plan que je propose pour sortir notre pays de l’impasse, fixe un délai de deux ans pour l’accès du peuple congolais à la démocratie par le scrutin, en précisant les étapes à franchir progressivement, en fonction de l’échéance: recensement des populations ; élections locales et provinciales, élections présidentielles puis législatives. La philosophie de ce plan peut se définir comme suit : organisation, sans précipitation inconsidérée, mais progressive d’une démocratie congolaise, construite en partant des communes et des territoires (élections locales) puis, par des mécanismes d’élection au second degré et désignation, aux provinces et à l’Etat central. Quant au mode de scrutin, j’estime responsable de retenir :

- le scrutin majoritaire à deux tours pour les élections à dimension nationale (élections législatives et présidentielles), capable de dégager des majorités cohérentes et durables au sein des assemblées, gage de stabilité ;

- la représentation proportionnelle, favorable à la prolifération des partis, ne permettra pas en RDC d’obtenir des majorités parlementaires durables, mais dégagera des majorités qui se feront et se déferont au gré des alliances et des humeurs, ce qui entraînera l’instabilité politique que le pays ne peut plus se permettre. Toutefois, cette forme de représentation semble être la plus appropriée pour les élections locales parce qu’elle assurera mieux la représentation des minorités et donc des différents courants d’opinion aux assemblées locales dans les collectivités territoriales du pays.