Le deÌsinteÌressement de la population congo-zaïroise pour les questions politiciennes s'explique par le fait que les veÌritables enjeux de socieÌteÌ s'y trouvent deÌshumaniseÌs, complexes, abstraits et deÌpourvus de tout espoir de connaiÌ‚tre la paix sociale et, cela reÌsulte du symptoÌ‚me que j'ai deÌnonceÌ plus haut d'un Etat qui ne fonctionne pas, discreÌditeÌ par un ensemble de deÌrives et de carences incitant à des conflits internes en tous genres. Il est superflu de rappeler ici que la population au Congo-Zaïre est, depuis trop longtemps, laisseÌe pour compte. Comment peut-on encore exiger d'elle une participation active dans la chose publique ?
Il est certain que le manque de caracteÌ€re dont teÌmoigne aujourd'hui notre peuple dans les territoires " libres " est profondeÌment triste. Son indiffeÌrence à l'eÌgard des plus graves inteÌreÌ‚ts de la nation est vraiment deÌsespeÌrante et sa compromission crie parfois vengeance au ciel. Seulement, nous ne devons jamais oublier que le peuple congolais a, il y a plus de quarante anneÌes deÌjà, donneÌ à l'Afrique et au monde le plus admirable exemple des plus hautes vertus patriotiques. Depuis les journeÌes de janvier 1959 jusqu'à la fin de cette gigantesque lutte de deÌcolonisation en 1960, pas un peuple de l'Afrique n'a teÌmoigneÌ plus de viril courage, de constance opiniaÌ‚tre et d'abneÌgation que notre peuple congolais devenu aujourd'hui si pitoyable. Personne ne pourra donc preÌtendre que le roÌ‚le honteux, joueÌ actuellement par notre peuple, est l'expression des caracteÌ€res intrinseÌ€ques de son eÌ‚tre intime. Ce que nous vivons aujourd'hui, ce que nous voyons autour de nous, ce que nous eÌprouvons en nous, ce sont les eÌpouvantables conseÌquences d'une vie politique de trente deux anneÌes de penseÌe unique et du parjure commis depuis le 17 mai 1997. Elles ont porteÌ un trouble profond dans notre intelligence et notre raison. Pourtant, meÌ‚me en ce moment, les bonnes qualiteÌs fondamentales de notre peuple n'ont pas compleÌ€tement disparu ; elles sommeillent encore dans les profondeurs de la conscience et l'on a pu voir parfois, comme des eÌclairs silencieux sillonnant un ciel obscur, rayonner des vertus dont le futur Congo- Zaïre se souviendra un jour comme des premiers symptoÌ‚mes d'une convalescence à son deÌbut. Qu'on se souvienne du refus de nos concitoyens de Goma, terrasseÌs par l'eÌruption volcanique de Nyiragongo, de se reÌfugier au Rwanda et preÌfeÌrant par patriotisme mourir dans le territoire de nos anceÌ‚tres. Plus d'une fois se sont trouveÌs de jeunes du Congo-Zaïre, qui eÌtaient reÌsolus à sacrifier volontairement, comme leurs aiÌ‚neÌs en 1959-1960, leurs tendres anneÌes sur l'autel de leur cheÌ€re patrie. Qu'on se souvienne de jeunes congolais exeÌcuteÌs à Kisangani les 14 et 15 mai 2002 en preÌsence de la MONUC , pour avoir refuseÌ de deÌnoncer leurs compatriotes accuseÌs de meneÌes subversives par l'occupant. Si cette eÌvolution des esprits ne se manifeste pas encore sous la forme d'une reÌsurrection de l'ideÌe patriotique de la nation, la faute en est à l'ensemble de protagonistes de notre paysage politique actuel. Si une propagande de grand style avait su se servir des cruauteÌs commises avec un plaisir sadique sur nos compatriotes des reÌgions orientales, elle aurait transformeÌ l'indiffeÌrence de tout le peuple congolais en indignation reÌvolteÌe et cette indignation se serait eÌleveÌe jusqu'à la fureur. Certes, quand on plaint aujourd'hui notre peuple, on devrait pourtant se demander : qu'a-t-on fait pour le corriger ? Est-ce que le peu d'appui que le peuple congolais a donneÌ aux deÌcisions de nos gouvernants est un signe de la faible vitaliteÌ de notre nation, ou n'est-ce pas plutoÌ‚t la preuve que les meÌthodes employeÌes pour conserver ce bien preÌcieux ont compleÌ€tement eÌchoueÌ ? Qu'ont fait les hommes politiques, le gouvernement et les mouvements politiques armeÌs pour que renaisse dans notre peuple un esprit de fierteÌ patriotique ? Qui s'eÌtonnera donc si notre peuple n'est pas ce qu'il devrait et pourrait eÌ‚tre ? Si le reste du monde ne voit en nous qu'un peuple sans cause, sans identiteÌ, que le bas valet, le chien soumis qui leÌ€che avec reconnaissance la main qui vient de le battre ? Il est suÌ‚r que la renaissance de notre patrie est momentaneÌment compromise actuellement par le lamentable eÌtat moral de notre peuple, mais elle l'est encore par la faute de nos politiciens. Si, apreÌ€s cinq anneÌes de l'oppression la plus effreÌneÌe, notre peuple manifeste si peu de volonteÌ d'eÌ‚tre libre, la faute en est à la perversiteÌ de nos hommes politiques. Il n'est pas concevable, en effet, qu'un peuple puisse se soulever contre l'oppression sans qu'on lui ait donneÌ auparavant conscience de lui-meÌ‚me et, inversement tout combat meneÌ pour la libeÌration d'un peuple influe fatalement sur le reÌveil du sentiment national et deÌveloppe en lui le patriotisme.
On a inoculeÌ dans le cÅ“ur de notre peuple le pire pacifisme suicidaire, à une eÌpoque ouÌ€ le reste du monde se mettait deÌjà en devoir de juguler le Congo-Zaïre, lentement mais suÌ‚rement ? Nos hommes politiques n'avaient-ils pas, deÌjà en temps de paix, insinueÌ dans l'esprit du peuple le doute à l'eÌgard du droit de l'Etat lui-meÌ‚me, afin de brider d'avance l'Etat dans le choix des moyens propres à le deÌfendre ? S'il est vrai que la destruction radicale de la conscience patriotique populaire congo-zaïroise a rendu possible l'impuissance de notre patrie, la responsabiliteÌ de cet eÌtat de chose incombe à nos deÌcideurs politiques.
Mais le peuple du Congo-Zaïre, deÌchireÌ par l'exceÌ€s d'individualisme, fruit de la diversiteÌ des cultures qu'il renferme, recouvrera, graÌ‚ce à une eÌducation civique et une discipline reÌpublicaine, une grande partie au moins de ses faculteÌs patriotiques qui, depuis longtemps, lui eÌtaient devenues eÌtrangeÌ€res.